Retour sur 6 jours de voyage entre Malte et Gozo, entre les murettes de pierres dorées, les vignes, les massifs de cactus, les ruelles étriquées, et cette eau si bleue qu’elle paraît irréelle.
Carnet de voyage : 6 jours entre Malte et Gozo
Jour 1 :
Atterrissage à Malte. La mer de nuages éblouissants nous laisse soudainement voir un alliage de bleu et d’ocre : la côte des deux côtés et un amoncellement de blocs empilés, agglutinés, encastrés comme un tétris urbain.
On quitte l’aéroport de Ħal Luqa en bus pour rejoindre Il-Mellieħa, à la pointe nord de Malte. Un bon aperçu de la conduite sportive et chaotique des maltais et du décor à l’intérieur des terres : pendant que le plafond du bus nous goutte dessus et que le chauffeur pile-accélère-pile-accélère sans raison visible, on regarde le tetris urbain se trouer de travaux et se hérisser de grues… Peu convaincus.
Hôtel avec vue, petit resto français (enfin guindé… enfin feutré…) cerné par les pizzerias, avec Amaro.

Jour 2 :
Quelques minutes de rodéo-bus pour rejoindre le port de Ċirkewwa, station des ferries. On se mêle à la foule au départ pour l’île de Gozo (Għawdex), la petite sœur de Malte, moins développée et plus authentique.
Midi pile : on s’engouffre dans la gueule sombre du ferry, au milieu des bruits assourdissants, des gaz d’échappement des voitures en attente, des valises glissants sur le béton vert humide et du staff hurlant et gesticulant de façon incompréhensible. Un banc à l’avant du pont et on s’installe pour la traversée.
Une demi-heure plus tard nous arrivons au port de Mġarr. Ici tout paraît plus paisible, plus sauvage. Le bus qui nous amène à Iż-Żebbuġ grimpe en serpentant entre les rues étriquées, les vignes, les massifs de cactus et les murettes de pierres dorées. Même le chauffeur a l’air plus posé.
La terrasse de notre appartement donne sur la baie de Marsalforn, sur ses jolis restaurants et ses balcons alignés. Plus au sud, une petite crique isolée, découpée de roches dorées, brassée par les rafales de vent. Quelques locaux se baignent dans les tumultes de l’eau, une échelle de piscine rouillée plonge dans la mer. Un refuge pour Jacques Mayol…
En revenant vers la ville, on s’installe sur un banc face au port. On reste là, à se faire griller la peau au son du ressac jusqu’à ce que le vent nous hérisse les poils et le soleil se cache dans la brume.

Jour 3 :
Réveil lent sur la baie de Marsalforn. Paresser au son du ressac, on ne se lasse pas de ce genre de chose…
On part découvrir Victoria (Ir-Rabat), la capitale de Gozo. On se perd à travers les ruelles chaudes de la ville : les portes ouvragées, les murs écaillés, les amoncellements de plantes, les chats errants, les statues religieuses… Ici on retrouve le mariage de culture de la langue maltaise : un mélange d’arabe, d’italien et d’anglais. La ville est dominée par la citadelle et ses fortifications. A travers son labyrinthe de pierres on rencontre des comédiens en costumes d’époque, des reconstitutions historiques presque réalistes… et beaucoup de touristes.
Dernière étape, une vue imprenable sur Gozo : les champs, les vignes et les maisons-cubes s’amoncellent comme un damier sur fond de méditerranée.

Le bain de touristes se poursuit sur la côte ouest : l’arche de roche d’Azure Window (Tieqa Żerqa) a beau s’être effondrée en 2017, le paysage reste incroyable. Falaises plongeant dans le bleu profond de la mer, grotte sombre découpant la lagune vert d’eau, piscines naturelles perçant la roche calcaire… Le plus beau panorama que l’on ait vu ici. Petit bijoux de l’île légèrement terni par le tourisme de masse : parking bétonné, construction de parpaings, bar et marchands de glaces…
On a regardé les files de pin-up se contorsionner pour trouver le cadrage de la photo instagramable parfaite… et on a loupé notre bus. Alors on est restés là une heure de plus, après la débauche des touristes, assis au milieu des crabes, les pieds dans l’eau.
Puis retour à Marsalforn et ventrée de poulpe avec vue sur la baie.

Jour 4 :
On part pour la plage de San Blas, plus sauvage, plus isolée que la plage principale et… moins accessible.
Après la traversée d’un village désert on accède au sommet de la plage. Vue magnifiquement sauvage et descente vertigineuse pour arriver sur… un bar. Micro langue de sable, location de transat en plastique et remontée en 4×4 en pleine saison.
Gozo tu nous déçois. Chaque opportunité, chaque beauté sauvage, exploitée pour le business. Le règne du plastique et de la pancarte criarde.
On s’est fait avoir bêtement. Par les avis sur Google, les photos instagramables et les cadrages astucieux. Bêtement. Alors on a fait la même chose. Des cadrages travaillés pour faire de belles images à ajouter à notre collection (à défaut de beaux souvenirs). Et il a bien fallu la remonter cette pente…

Direction la plage de Ramla – LA plage de Gozo. Parking pour city-tour, bars, restaurants, marchands de tout (sauf de crème solaire) et petits paquets de touristes agglutinés en bord de mer. Pas de surprise, pas de dépaysement, pas de déception non plus.
On a quand même de la chance : un petit bout de plage libre, un livre, la mer pas trop froide et la peau salée. Un petit peu d’été avant l’heure. Exactement ce qu’on est venus chercher…
Sur le sable ocre, fouettés par le vent piquant, on repense à nos plages des Landes, à leurs dunes à grimper, à leurs parkings de pinède et leurs chemins isolés, au sable brûlant sur des kilomètres et à l’eau fraîche (froide…) des vagues fracassantes. Immenses, indomptables, belles… On se demande combien d’étoiles elles ont sur Google.
On est rentrés juste assez tôt pour voir le soleil se coucher sur les marais salants d’Iż-Żebbuġ.

Jour 5 :
Dernier réveil sur l’île de Gozo.
Dernier café en observant les nuances de la méditerranée.
Bleu nuit, turquoise, bleu marine, vert d’eau, bleu gris.
Une vague passe.
Turquoise, bleu gris, vert d’eau, bleu nuit, bleu marine.
Le carillon de l’église bat la mesure. On serait bien restés là.
Après le ferry, une éternité de bus pour rejoindre notre dernier hôtel, au sud de l’île, proche de l’aéroport (et loin de tout le reste). Nous arrivons trop tard pour partir pour les piscines naturelles St Peter’s Pool. Alors nous allons au plus près, au plus accessible : Blue Grotto. Aucun bateau ne navigue dans la grotte aujourd’hui, mais c’est une dernière occasion d’en prendre plein les yeux, de ces falaises qui plongent dans la méditerranée, de cette eau si bleue qu’elle paraît irréelle. Nous envisageons de faire un plouf entre ces falaises, tout en bas du village désert de Grotto, au fond de cette échelle de piscine qui s’enfonce dans les profondeurs bleues/noires de la mer… Finalement non.
Nous attendons le bus. Nous attendons. Nous attendons. Nous attendons. Le bus qui passe est un bus d’entraînement. Alors nous attendons. Nous attendons. Le soleil se couche. Attendons et attendons encore. Après deux heures devant cet arrêt, coincés entre le vent, le froid et les falaises de Blue Grotto… un miracle : un restaurant ouvre. Est-ce la gentillesse du serveur, nos bières fraîches ou la chaleur de ce mini resto… Nous mangeons nos fruits de mer sans penser au dernier bus loupé, à nos portables déchargés et au long retour à pieds qui nous attend. Et nous analysons le poulpe au vin blanc.
C’est notre truc ça : on envoie pas de cartes postales, on achète pas de souvenirs, mais on ramène des recettes. Les bitterballen d’Amsterdam, le pastel de choclo du Chili, le poulpe au vin blanc de Malte.
Retour à pieds, en observant les ombres noires de Blue Grotto, éclairées par un feu d’artifice venant de nulle part.

Jour 6 :
Dernier matin : départ pour le retour… En attente du bus, un maltais nous indique spontanément où trouver un breakfast. Soit on avait l’air affamés, soit on avait l’air perdus…
Ventres remplis, direction l’aéroport. Grève, retard, embarquement, consignes de sécurité… Décollage.
Malte, il faut se dire au revoir. Je ne crois pas que l’on se reverra. Tu es vraiment belle, ne te méprends pas, mais un peu défigurée par le tourisme de masse. Champs de grues, constructions massives, attrape-touristes successifs, sites naturels bétonnés et pollués… Et ta petite sœur Gozo, sauvage et paisible, prend le même chemin.
On t’a aimé, d’une certaine façon : les découpes surprenantes de tes falaises, la gentillesse de tes habitants, tes champs quadrillés de murettes dorées, les crépitements des galets ramenés sur la plage, les initiales des amoureux gravés sur les oreilles des cactus, les citronniers, les oliviers et les figuiers, les nuances incroyables de cette eau… C’est pas toi, c’est nous. Trop sauvages. Trop peu habitués aux destinations touristiques. Trop peu habitués aux décors de carte postale…
On se quitte comme ça mais on t’en veut pas. Tu nous a offert la mer, le soleil, la peau grillée et le palais enivré. Quelques jours d’été avant l’heure. Exactement ce qu’on était venus chercher.
